Cette affirmation est répétée dans l’Évangile, et ailleurs avec d’autres mots. Il faut réaliser qu’elle concerne un amour qui est en amont de tout autre ! En effet, la Bible parle de l’amour de Dieu en suggérant plusieurs ampleurs.

 

Dieu aime l’homme.

Il fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes (Mt 5). C’est sa généreuse bonté de Créateur, c’est la bienveillance générale, qu’il continue d’accorder même quand elle n’est pas reconnue. C’est elle qui maintient les hommes êtres vivants (cf. Act 17). C’est un amour grand et patient face au mal, plus qu’aucun amour humain. Au point que l’Éternel, qui jugera le monde, parle de ses entrailles pour Moab (Es 16 v 11-12), peuple païen dévoyé.

Note : de cette bienveillance générale envers des païens, l’AT parle quasiment sans employer le mot amour ; ce qui ne s’éclairera qu’ensuite dans la Bible.

 

Dieu a un amour plus profond que sa bienveillance générale.

Au milieu de cette bonté globale, la Bible multiplie l’affirmation d’un amour de Dieu envers son peuple Israël, dont il prend soin comme de la prunelle de son œil (Dt 32 v 10). C’est une grâce particulière, d’appel et de révélation, une grâce explicitement qualifiée d’amour. Une grâce qui fait alliance, qui envoie les paroles de Dieu, qui éduque. Une grâce qui, tout en châtiant l’idolâtrie avec fureur, fait la promesse d’une alliance nouvelle. Cet amour-la culminera en ce qu’Israël est le cercle auquel Dieu révèle son Fils éternel, et révèle qu’il l’envoie pour quiconque.

Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique pour sauver n’importe quel homme qui croira en lui (Jn 3), c’est la grâce spécifique en Jésus Christ. Le don de son Fils – par amour – a été unilatéral et inconditionnel, mais Dieu conditionne les effets de cet amour à une chose : l’attitude des hommes envers son Fils. Dans la Bible, ce n’est pas par la bienveillance générale que Dieu sauve puis adopte, mais par son Fils qui demande à être cru et reçu ; celui qui n’a pas le Fils n’a pas la vie éternelle (1 Jn 5 v 11-12). Déjà le Ps 2 suggère que seul ceux qui embrassent le Fils ne périssent pas.

 

Dieu aime encore davantage l’homme qui aime Jésus.

Oui, Dieu a un amour encore supplémentaire aux précédents. Du Père, qui nous a aimés le premier (1 Jn 4) alors que nous étions encore pécheurs (Rm 5), Jésus dit clairement qu’il a un amour plus ‘investi’ pour certains hommes : si quelqu’un m’aime il gardera ma parole, et mon Père l’aimera ; nous viendrons et nous ferons notre demeure chez lui (Jn 14 v 23). C’est seulement à ce stade que l’amour « paternel » de Dieu rejoint un homme, Israélite ou païen. C’est seulement en Christ qu’un homme est délivré de la colère à venir (1 Th 1). Jésus fait dire les mots notre Père, non à tout homme mais à ses disciples, à ceux qui ont obéi aux mots de Dieu : celui-ci est mon Fils élu, écoutez-le (Lc 9).

Note : c’est par malentendu avec la Bible que vient l’idée d’un amour divin qui aurait la même profondeur envers tous les vivants (Rm 9 v 13). Comparons l’amour à la chaleur : le soleil est un astre créé qui ne maitrise ni l’intensité ni l’orientation de son énergie, seul le positionnement des planètes fait qu’elles sont plus ou moins réchauffées. Ce n’est pas du tout ce que signifient les mots : Dieu est amour. Loin d’aimer aveuglément, Dieu a une volonté et il oriente son amour en fonction de son dessein qui est centré sur son Fils.

Dieu a un amour sans équivalent pour le Fils unique, très en amont de son amour pour nous.

Voilà le sommet de ce que la Bible dit sur l’amour ! Parmi les nombreuses paroles de Dieu rapportées dans la Bible, quelques-unes surplombent toutes les autres. Quand Dieu dit : tu es mon Fils, je t’ai aujourd’hui engendré (Ps 2, Hb 1), et : en toi je me complais (Mt 3), il parle d’une chose infiniment en amont de tout ce qu’il dira ensuite aux humains. De même, à part bien sûr la déclaration « Je suis » (Exd 3), des versets comme : le Logos était auprès de Dieu (Jn 1) et le Père aime le Fils, disent une réalité supérieure à toute autre dans la Bible. Supérieure par exemple à : Dieu les fit à son image, ou : il nous a élus.

Ainsi, selon l’ensemble du texte biblique, les deux affirmations : le Père aime le Fils, et : le Père lui-même vous aime (Jn 16 v 27), ne sont pas égales. La seconde résulte de la première, pas l’inverse. La seconde est l’ouverture de la première à ceux qui suivent le Fils. Hélas, contrairement à la Bible, quand nous parlons de l’amour de Dieu, ce n’est quasiment jamais de son amour premier pour le Fils, mais uniquement de son amour pour nous.

 

 

Le Père aime le Fils.

De tout ce que Jésus prononce à son propre sujet, le plus central est dit entre lui et son Père : tu m’as aimé avant la fondation du monde (Jn 17 v 24). L’Évangile y insiste ! Jean-Baptiste couronne ses prophéties par : le Père aime le Fils et il a tout remis entre ses mains (Jn 3 v 35). Jésus explique son œuvre par : le Père aime le Fils et lui montre tout ce qu’il fait (Jn 5 v 20), et : le Père m’a aimé (15 v 9). Apprécions que cet amour soit affirmé haut et fort, et sans aucun argumentaire. Jésus ajoute aussi : le Père m’aime parce que je donne ma vie (Jn 10 v 17).

Sublimement décentré de lui-même, Jésus précisera : le Père est plus grand que moi (Jn 14 v 28), et : que le monde sache que j’aime le Père (v 31). Le lien éternel entre le Père et le Fils est si total que l’Esprit de Dieu est aussi l’Esprit de son Fils. Du Père et du Fils procède l’Esprit, troisième. Ainsi, Jésus annonce l’effet fondamental de l’envoi du Saint Esprit en nous : connaître que Jésus est en son Père (Jn 14 v 20).

 

En ce jour-là, vous connaitrez que je suis en mon Père, vous en moi, et moi en vous.

Ici, Jésus pose une priorité : son lien au Père primera sur notre lien à lui. La vie par l’Esprit sera d’être lié à celui qui est le centre de l’amour et du dessein de Dieu, et non d’être nous-mêmes le centre. Il ne faut pas mésestimer cela, le fait que Christ soit en Dieu sublimera notre vie chrétienne plus encore que le fait d’être nous en Christ.

Le NT le dit beaucoup, notre reconnaissance et notre lien à Christ sont nourris de ce qu’il a fait pour nous : il nous a aimés et nous a déliés de nos péchés par son sang (Ap 1). Mais il dit aussi une chose qui, produite par l’Esprit de Dieu, est comparable à cette chose si belle que sur terre on nomme « se réjouir du bonheur d’autrui plus même que du sien ». Ainsi, quand Jean-Baptiste – le plus grand – dit que sa joie est complète, c’est celle de voir le bonheur de l’époux (Jn 3 v 29). Quand Jésus annonce une joie complète pour ses disciples, il précise qu’elle découlera de ses paroles concernant sa propre félicité : le Père m’a aimé (Jn 15 v 9 à 11), et : je vais à toi, je parle ainsi dans le monde afin qu’ils aient en eux ma joie parfaite (Jn 17 v 13). Sur terre déjà, il y a une mesure amplifiée de joie : contempler la joie sans égale que Jésus a d’être aimé du Père et de l’aimer.

 

Ma vie a pour socle quotidien le fait que Dieu aime d’abord Jésus.

En m’éclairant cela, l’Esprit de vérité me rend Jésus encore plus précieux ! Il y a là un grand bénéfice : c’est là, dans la vérité, que je deviens adorateur vrai de Celui qui est sur le trône et de l’Agneau ! C’est là que je suis centré comme Dieu l’a prévu, d’où une stabilité de fond qui m’évite d’être balloté à tout vent de doctrine. D’où aussi un contentement lucide : en Christ je suis élu, sans lui non. Le bénéfice c’est d’être en Christ solidement, parce que je le suis par Dieu (1 Co 1) plus que par mes expériences. C’est de baigner dans la grâce efficace de Dieu et d’être tracté par elle et non par moi. En un mot, je bénéficie de la prière de Jésus : que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux (Jn 17). Extraordinaire !

Note : la Bible est claire, nous ne deviendrons pas Christ. Il nous donne sa gloire (Jn 17), mais ne nous transfère pas tout ce qu’il est pour Dieu (Christ seul est Fils unique), ni tout ce que Dieu a dit de lui (de Christ seul Dieu dit : tout mon plaisir).

 

Qu’est-ce que je manque si mon socle est uniquement que Dieu m’aime moi ?

C’est de ne pas avoir pour ma vie le même centre que Dieu a. Écrite pour des humains, la Bible répète combien la bonté de Dieu les vise ; c’est un message massif mais ce n’est pas le message suprême. Écrite pour des saints, elle révèle combien l’amour de Dieu pour le Fils unique est le cœur de son dessein. Si à mes yeux le message massif gomme le message suprême, il y a décentrage : sans trop me l’avouer, je deviens le but du dessein de Dieu, et Christ mon sauveur en devient le moyen.

Voir l’amour de Dieu pour moi comme sommet de tout, sera d’abord exaltant mais ensuite dopera l’habitude naturelle de m’appartenir à moi-même. Bientôt seront voilés les mots par lesquels Jésus dit où Dieu place les rachetés : tu me les as donnés (Jn 17 v 6). De là bien des déséquilibres en doctrine et en piété, et l’attente que le Saint Esprit me parle plus de moi que de la vérité. Alors la foi et l’espérance seront axés sur réussir ma vie, me réaliser, poursuivre mes rêves, etc. Jusqu’à éteindre aux oreilles de mon cœur la parole : si quelqu’un veut venir après moi, qu’il se renie lui-même (litt.), qu’il se charge de sa croix, et qu’il me suive (Mc 8 v 34).

 

Conclusion.

La Bible dit que Christ m’a aimé moi (Gal 2), mais sans dire que nous sommes le but central. Être christocentrique n’est pas seulement croire que Jésus est le seul nom qui sauve, c’est aussi apprendre à nous réjouir sincèrement du fait qu’il est – au dessus de nous – le premier aimé de Dieu, le premier-né d’un grand nombre de frères (Rm 8). Ce fait ne réduit pas notre valeur mais l’augmente. En quoi ? En ce que le saint appel de Dieu pour nous est d’être adoptés dans l’amour supérieur qu’il a pour Jésus. Oui, le fait que Dieu nous aime en Christ qui est tout son plaisir, ouvre un héritage plus grand que s’il nous aimait ‘seulement pour nous-mêmes’. Quand nous parlons d’amour, cessons de taire l’amour premier de Dieu envers Christ.