Il y a plus grand que moi !  On peut y réfléchir en commençant par deux versets parallèles : Le Fils de Dieu m’a aimé, et s’est livré lui-même pour moi (Gal 2 v 20), et : Christ a aimé l’Église, et s’est livré lui-même pour elle (Eph 5 v 25). Chacun des deux versets pointe vers plus grand. En effet, le premier conclut que c’est Christ qui vit en moi. Et le second conclut qu’il a aimé l’Église pour se la présenter à lui-même.

 

première partie

MOI

Le Fils de Dieu m’a aimé et s’est livré lui-même pour moi.

(Gal 2 v 20)  Ce verset dit à quel point Christ me connaît et oriente son amour vers moi, individu. Or, tout en disant combien je compte, le verset signale quelque chose d’autre : ce n’est plus moi qui vis. Dans le langage biblique ça ne signifie pas du tout un suicide existentiel, car la suite est : ce que je vis maintenant dans la chair, je le vis dans la foi au Fils de Dieu. En écrivant « ce n’est plus moi qui vis », Paul signifie : c’est Christ qui vit en moi. Il magnifie celui qui est plus grand.

Cela résulte de : j’ai été crucifié avec Christ. C’est à dire, quand Christ a été crucifié il l’a été comme mon substitut, chargé de mes péchés. La parole de la croix m’ayant transpercé au cœur (Act 2 v 37 litt.), Dieu me compte mort avec Christ (puis ressuscité avec lui). C’est le sens profond de : si quelqu’un veut venir après moi, qu’il renonce à lui-même, se charge de sa croix, et me suive (Mt 16 v 24).  Aimé de Christ, je porte la marque de sa croix (et non : je suis en guerre contre le moi, je poursuis l’extinction, etc).

 

‘Moi’ mais pas centré sur moi.

Je dois rester paisible avec le fait d’être moi, puisqu’il est écrit : ‘mon’ berger, ‘ma’ haute retraite, ‘mon’ salut, etc. Légitimement il y a ‘ma’ foi, ‘ma’ vie de prière, ‘ma’ faim des Écritures, etc. C’est bien moi que Dieu a racheté, c’est moi qu’il a appelé à la communion de son Fils.

Sa grâce me maintient paisible quant au ‘moi’ tout en me préservant de l’individualisme. Exemple, la seule compréhension juste de l’expression ‘ma destinée’ c’est qu’avec tous les élus j’ai été prédestiné à être adopté en Christ (Eph 1 v 5). Aucun verset ne dit qu’il m’a prédestiné à par exemple à la prédication, la prophétie, encore moins la créativité, l’entreprise, etc. Ces choses, Dieu les donne ou pas. Mais quand le but de ma foi est ma propre personne, celle-ci devient subtilement mon idole.

Il est écrit que la croix prouve l’amour de Dieu pour nous (Rm 5 v 8), nulle part il est écrit qu’elle prouve ma valeur. Les mots « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique » ne signifient pas que le monde avait une valeur telle qu’elle justifiait le sacrifice, mais que l’amour de Dieu était tel qu’il a pourvu au sacrifice.  Pour que chacun puisse être ‘moi’ sans être égocentré, Dieu nous marque de la croix du Christ. L’adorer nous décentre de nous-même. Dieu nous montre aussi une voie par excellence : il commande à chaque ‘moi’ d’aimer son frère (1 Jn 3 v 16). Ainsi Dieu me décentre de moi-même, par l’Église locale.

 

 

deuxième partie

L’ÉGLISE

 

Dieu n’a pas épargné son propre Fils, mais l’a livré pour nous tous.

(Rm 8 v 32)  En disant nous tous ce verset évoque le collectif nommé Église c’est à dire Assemblée. Sur terre, l’Église se voit d’abord comme l’assemblement de nombreux rachetés. Jésus prend en compte chaque individu : je connais mes brebis (Jn 10 v 14). Et il prend en compte le collectif : un seul troupeau, un seul berger (v 16).

Dans la Bible, « l’Assemblée de l’Éternel » n’existe pas seulement comme addition d’un nombre croissant de fils d’Abraham, mais aussi comme unité élue d’avance : l’Éternel t’a choisi pour que tu sois un peuple qui lui appartienne en propre (Dt 7 v 6, noter le sens collectif de ‘tu’).  En prolongement de quoi, lorsqu’il dit « mon Assemblée » (Mt 16 v 18 litt.), Jésus ne désigne pas seulement une addition de membres mais surtout une unité. Le Christ Jésus s’est donné lui-même pour nous, afin de nous racheter de toute iniquité, et de se faire un peuple qui lui appartienne (Tit 2 v 14).

Pour Dieu, il y a plus grand que l’individu fidèle.  La phrase « l’Éternel le gardait comme la prunelle de son œil » (Dt 32 v 10) désigne le peuple, pas Abraham, ni moi.  Dans les épîtres, les mots ‘vous’ ou ‘nous’ désignent très souvent le corps et non les individus. Exemple, en Christ il nous a co-ressuscités et fait co-asseoir dans les lieux célestes (Eph 2 v 6 litt.), le sens n’est pas : moi, je suis assis dans les cieux. Autre exemple, je (Paul) vous ai fiancés à un seul Époux comme une vierge pure (2 Co 11 v 2), le sens n’est pas : moi (lecteur), je suis la fiancée.

 

Christ a aimé l’Église et s’est livré lui-même pour elle.

(Eph 5 v 25)  Elle au singulier. Jésus est venu parce que, à l’avance, il aimait l’Église. Il l’a aimée comme une. Une, puisque dans la préscience de Dieu elle était élue et prédestinée comme un seul homme nouveau (Eph 2 v 16), un seul corps (Eph 4 v 4).  Oui, il faut penser notre élection et notre prédestination moins comme individuelles, que comme collectives. Pourquoi ? Parce qu’en Eph 5 c’est dans le cadre d’une comparaison entre un mari et sa femme que Paul écrit : Christ a aimé l’Église. C’est à une épouse, au singulier, que Dieu compare le peuple appartenant à Christ et tant aimé de lui. C’est en prédestinant l’Église comme une, que Dieu en appelle chaque membre ; pas l’inverse.

 

Christ a aimé l’Église pour se la présenter à lui-même.

(Eph 5 v 27)  Voilà pourquoi Christ s’est fait un peuple. Ce verset établit que l’Église n’est pas prédestinée pour elle-même, mais pour Christ. Elle compte beaucoup, mais n’est pas le but ultime. Le verset confesse l’Église universelle et accomplie, au Jour de Christ.  Entre temps, les innombrables églises locales ne sont saintes que si leur bonheur est d’exister pour Christ. Certes, la grâce et l’envoi, la lumière et une autorité, sont à elles afin de former un seul corps (Col 3 v 15) et servir pour l’édification du Corps (Eph 4 v 12). Mais servir sans orgueil identitaire.

Sinon, ‘notre’ église, ‘notre’ vision, ‘notre’ renommée, deviennent idole. Si nous avons pour but ‘notre’ église, le moteur de notre construction est le même que celui de Babel : faisons-nous un nom (Gn 11 v 4).  Mais Eph 5 dit : pour se présenter à lui-même cette Église (litt.). Ici, l’idée n’est pas de la faire ‘apparaître’ devant la création (comme en Rm 8 v 19 ou 2 Th 1 v 10), l’idée est plus grande, c’est que Jésus accomplira la raison d’être de l’Église : lui appartenir.

 

L’Église sera glorieuse et sainte.

(Eph 5 v 27)  Se présenter à lui-même cette Église, glorieuse, sans tache, ni ride, ni rien de semblable, mais sainte et sans défaut. Ici, les qualificatifs sont au futur : au Jour de Christ, l’Église sera glorieuse. Ailleurs, il est parlé au présent d’une gloire qui rend un les disciples de Jésus (Jn 17 v 22). Ailleurs, ils sont au présent qualifiés de saints (Eph 1 v 1) du fait que Christ s’est livré pour l’Église afin de la sanctifier en la purifiant par le bain d’eau dans la parole (Eph 5 v 26, litt.).  Rappel, cette sanctification de l’Église contient ma sanctification individuelle ; pas l’inverse.

Eph 5 dit qu’au Jour de Christ, l’Église le rencontrera en plénitude. Sa présentation à Christ par lui-même la rendra entièrement glorieuse, car elle le verra tel qu’il est (1 Jn 3 v 2).  Aujourd’hui c’est en arrhes seulement qu’elle est glorieuse et sainte. Aujourd’hui, elle n’est pas sans tache ni défaut. Mais alors, elle sera transfigurée par l’éclat même de l’Époux.  Saine précision : la Bible dit ‘épouse’ au futur, et ‘fiancée’ au présent.

 

 

troisième partie

CHRIST

Une chose aide à comprendre que ni moi ni l’Église n’avons été créé pour nous-même. C’est que, très en amont de « Dieu a aimé le monde » et même de « le Fils de Dieu m’a aimé » et même de « Christ a aimé l’Église », il y a « le Père aime le Fils » (Jn 3 v 35, 5 v 20, 10 v 17). Cet amour-là est premier, unique, sans égal. Le fait que Dieu l’ait ouvert aux élus (Jn 17 v 26) ne les transforme pas en fils uniques, ni en christ-bis.

 

Il est avant toutes choses. 

Christ est plus important que l’Église. Il est avant toutes choses, et tout subsiste en lui (Col 1 v 17). Avant la création, il est le commencement. Par grâce envers les élus, il est le premier-né d’entre les morts, afin d’être en tout le premier (v 18).  Jésus pose cela d’une manière étonnante, mais nous l’oublions vite. Parlant aux disciples du jour où l’Esprit Saint sera donné, il leur explique quel sera le premier effet de cet Esprit : en ce jour-là, vous connaîtrez que moi je suis en mon Père (Jn 14 v 20).  La suite du verset (vous en moi, et moi en vous) est davantage retenue car elle concerne notre lien à Christ (l’Esprit lui-même rend témoignage à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu, Rm 8 v 16). Mais, en premier, Jésus dit que l’Esprit Saint nous rendra conscients de ce que le Fils représente pour le Père, car il est dans le Père. Jésus dit cela pour nous situer, moi et l’Église, à notre vraie place : bénéficiaires adorateurs devant ce lien Père-Fils.

 

Le Fils est la tête du corps, de l’Église.

(Col 1 v 18)  Dans l’AT et le NT entiers, ce mot tête signifie bien chef. Paul insiste sur cette primauté : Dieu a tout mis sous ses pieds, et l’a donné pour chef suprême à l’Église (Eph 1 v 22). Et : Christ est le chef de l’Église, qui est son corps et dont il est le Sauveur (5 v 23). Nous devons comprendre cela, et aimer cela. Aimer que ni moi ni l’Église n’ayons d’existence hors de Christ, ni d’identité hormis être son corps. Aimer qu’il ait sur moi, sur l’Église, des droits éternels.

Nous devons aimer qu’il soit infiniment plus grand que nous.  Quand Dieu accorde à Jean l’impressionnante vision de Jésus céleste, voici le résultat : quand je le vis, je tombai à ses pieds comme mort, il posa sa main sur moi (Ap 1 v 17). Cette formidable disproportion entre Christ et nous, ne minore pas notre valeur, mais la majore. Comme c’est écrit à une église : je les ferai venir se prosterner à tes pieds et reconnaître que je t’ai aimé (Ap 3 v 9).

 

Ils étaient à toi, et tu me les a donnés.

(Jn 17 v 6)  Cette confession de Jésus à son Père, est très insuffisamment prise en compte quand nous réfléchissons à notre raison d’être. Paul explique : tout a été créé pour lui (Col 1 v 16). Pour lui, pas pour moi, pas pour l’Église. Le sens ultime de notre élection, création, rédemption, est de co-appartenir au Fils.  Apoc 1 précise que Jean voit Jésus au milieu des sept chandeliers d’or (Ap 1 v 13), les sept églises (v 20). Elles existent pour lui, elles sont à lui. Elles ne peuvent se limiter à voir en lui l’agent de leur bonheur, elles doivent l’adorer comme étant lui le but de Dieu (Phil 2 v 11).

 

Conclusion.

Jésus a dit : il y a ici plus que Salomon, plus que Jonas (Mt 12 v 41). Dans l’AT comme dans le NT, le dessein de Dieu n’est ni anthropocentrique, ni judéo-centrique, ni ecclésia-centrique, il est christocentrique.

 

– – –