Normalement, les chrétiens sont convaincus de la pleine autorité des Saintes Écritures. Mais ils doivent savoir s’ils ont cette conviction seulement parce qu’elle est traditionnelle, ou parce que Jésus l’avait. Mieux comprendre la sienne leur évitera de laisser se diluer la leur. (dans la Bible, l’expression « les Écritures » désigne le corpus des livres de l’AT d’abord, puis de l’AT et du NT ensemble)
Pour Jésus, se plonger dans les Écritures c’est s’occuper des affaires de son Père.
L’Évangile rapporte qu’à l’âge de douze ans, au lieu de suivre ses parents après une Pâque, Jésus reste à Jérusalem où ils ne le retrouvent qu’au bout de trois jours (Lc 2 v 41 à 51). Qu’est-ce qui a pu le retenir si longtemps ? Sa réponse résume le rapport qu’il aura avec l’Écriture : pour la première fois il parle de s’occuper des affaires de son Père, et il le dit au sujet de ces jours passés avec les docteurs de la thora. Il écoute, il questionne, il répond ; lui qui n’a pas étudié (Jn 7 v 15) fait des réponses d’une sagesse stupéfiante. En disant plus tard à ses parents « pourquoi me cherchiez-vous ? », l’enfant Jésus dit le pourquoi de son engouement : ces Écritures sont celles de mon propre Père céleste !
C’est sans doute progressivement que Jésus avait pris conscience de qui il était, lui qui venait d’en haut (Jn 8 v 23). Ici, il a retrouvé dans les Écritures la voix et la volonté paternelle.
Jésus se confie à ce qui est écrit.
Au désert Jésus est tenté par le diable (Mt 4). C’est une confrontation – nous dépassant largement – entre Christ qui est Fils de Dieu, et Satan qui n’ignore pas cela. Or Jésus ne lui dit pas : je te dis que… mais : il est écrit : l’homme ne vivra pas de pain seulement mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. Trois fois, face au mal, Jésus confie sa sécurité à une parole de l’Écriture.
N’importe qui peut dire « il est écrit ». Mais Jésus le dit en une situation phare : la tentation dont l’issue va renverser celle de Genèse 3. En triomphant du tentateur, Christ entame la rédemption de ceux qui avaient cédé au tentateur. Or il remporte ce triomphe par le poids de l’Écriture, montrant ainsi qu’elle n’est pas inerte, mais qu’elle a une vertu divine dans le monde spirituel.
Pour Jésus, ce qui est écrit résulte de la bouche de Dieu.
Il prend en compte le fait que le texte a des auteurs, des compilateurs, des conservateurs humains, et cependant il affirme : ce qui a été écrit par les prophètes vient de plus haut, de la bouche de Dieu. N’avez-vous pas lu dans le livre « de Moïse » ce que « Dieu » dit ? (Mc 12 v 26). Pour Jésus les mots parole de Dieu désignent parfois l’oral (Lc 8 v 11) parfois l’écrit (Mt 15 v 6), et les expressions Dieu a dit (Mt 15 v 4) et Moïse a dit (Mc 7 v 10) sont interchangeables. Si pour Jésus le texte est de Moïse, est-ce par tradition ? N’est-ce pas plutôt parce qu’il sait ce dont il parle, lui qui connaît Moïse (Lc 9 v 30) ? C’est la chose à bien retenir : pour Jésus, l’Écriture sort de la bouche de Dieu. La bouche de Dieu est en amont du vécu de foi en Israël, et l’Écriture n’est pas une formulation mythifiée de ce vécu.
Pour lui-même, et pour nous, Jésus considère que l’Écriture est fiable.
Dans le texte des Évangiles, Jésus se réfère plus de 60 fois aux Écritures. S’il le fait, ce n’est pas par conformité aux standards de son époque. C’est par souci de donner aux disciples le bon exemple. Et c’est par une authentique confiance personnelle dans ce que Dieu a fait écrire. Il montre cela en permanence (enfant, au désert, quand on le conteste, sur la croix, une fois ressuscité) : non seulement l’Écriture est fiable au profit des hommes, mais elle doit s’accomplir dans sa vie à lui, Jésus. Cela donne encore plus de poids à ce qu’il dit quand il se réfère à l’Écriture : il en parle comme étant d’origine surnaturelle. Pour Jésus, les Écritures sont identiques à ce que Dieu a dit, et pour cela elles sont toujours vraies, sans faille ni erreur (si elles sont interprétées sans raccourcis).
Jésus a dit : l’Écriture ne peut être abolie.
Selon lui, elle fait autorité et nul ne peut dissoudre cela, car elle est de Dieu, vivante et permanente (ce que Pierre écrira, 1 Pi 1 v 23). Elle est la vérité et non un support relatif de la vérité, Jésus dit bien : l’Écriture ne peut être abolie (Jn 10 v 35). On trouverait évident qu’il dise : le Verbe éternel ne peut être aboli. Mais non, il identifie parole écrite à parole céleste. Jésus affirme le lien entre Écritures et puissance de Dieu : aux Sadducéens, qui par exemple nient la résurrection des morts (Mc 12 v 18-26), il ne répond pas : demandez à la veuve de Naïn (Lc 7), mais : n’avez-vous pas lu dans le livre de Moïse ce que Dieu lui a dit ? Concernant Dieu, l’au-delà, le bien et le mal, le sens de la vie, etc. Jésus ne cautionne aucune autre révélation que l’Écriture.
Jésus se sait ‘présent’ dans les Écritures.
Il leur donne la plus noble des cautions : elles rendent témoignage de moi (Jn 5 v 39-40), et : Moïse a écrit à mon sujet (v 46). Que Jésus est sujet des Écritures, il l’a dit pendant son ministère. Plus impressionnant encore, il l’a redit après sa résurrection : il fallait que s’accomplisse tout ce qui est écrit de moi dans la loi de Moïse, dans les prophètes, et dans les Psaumes (Lc 24 v 44). C’est à dire, les Écritures ont Christ pour sens. Enseigné par Jésus, Pierre écrira même : c’est l’Esprit de Christ qui était en eux, qui attestait aux prophètes anciens ce qu’ils ont perçu du Messie, et le message qu’ils ont eu à servir (1 Pi 1 v 10 à 12).
Dans sa prière, dans ce qu’il vit, dans ce qu’il prêche, au sujet des miracles, sur la croix, après sa résurrection, le Seigneur Jésus cautionne la Bible.
Tout au long de son ministère, il répète à la fois : ce que le Père me dit, me montre, et : il est écrit. Les nombreux miracles qu’il opère, il les explique en citant les Écritures : l’Esprit du Seigneur est sur moi… (Lc 4 v 18 et 23). Par elles il explique sa crucifixion : comment donc s’accompliraient les Écritures, d’après lesquelles il doit en être ainsi ? (Mt 26 v 54). Même sur la croix, il cite le Psaume 22, et quand il dit : j’ai soif, c’est afin qu’elles soient accomplies (Jn 19 v 28).
Même ressuscité, et bien que présent en personne avec les disciples d’Émmaüs (Lc 24), c’est par l’Écriture qu’il fait brûler leur cœur (v 32). Il ne leur reproche pas d’être lents à le reconnaître, mais lents à croire tout ce qu’ont dit les prophètes (v 25-27). Quand il donne aux apôtres le mandat de prêcher sa croix, sa résurrection, la repentance, le pardon des péchés, Jésus le dit ainsi : il est écrit que cela arriverait et serait prêché aux destinataires premiers de l’Écriture et aux suivants (v 46-47).
Ancien et Nouveau Testament ont la même fiabilité surnaturelle.
Quand Jésus disait « l’Écriture », c’était l’AT. De même que les œuvres et paroles de Dieu ont donné les paroles de ses prophètes d’où les écrits de l’AT, les œuvres et paroles de Christ – qui d’après lui étaient œuvres et paroles de son Père – ont donné les paroles de ses apôtres d’où les écrits du NT. Leurs paroles orales (1 Co 15 v 11) puis écrites (1 Co 14 v 37) sont « parole de Dieu », du moins celles qu’il a voulu fixer. C’est pourquoi, depuis la venue de Jésus, « les Écritures » expriment la voix de Dieu et de Christ (Col 3 v 16). Plus de 200 fois le NT réfère son lecteur à l’autorité de l’Écriture, par des exhortations et par des citations de l’AT.
On doit avoir avec l’Écriture le rapport que Jésus avait.
Ce rapport concentre tout ce que la Bible dit sur elle-même. Dieu a créé par sa parole (Gn 1), précisément par le ruah (souffle) de sa bouche (Ps 33 v 6). La Bible montre un lien Parole – Esprit – Écriture. Pour Jésus, « il est écrit » équivaut à « Dieu dit » : le centre de son rapport à l’Écriture c’est qu’elle est de la bouche de Dieu, et qu’elle est par l’Esprit de Dieu. En disant : les paroles que je vous ai dites sont Esprit et vie (Jn 6 v 63), Jésus désigne tout son message qui, étant parole de Dieu, sera ensuite Écriture.
Ce sont bien des hommes que l’Esprit a fait écrire, mais c’est Dieu qui a agi et parlé : l’Éternel dit à Moïse : écris ces choses dans le livre (Exd 17). Et, dix fois au long des Évangiles, Jésus répète : n’avez-vous pas lu dans les Écritures ? (Mt 21 v 42). Leur autorité ne vient pas de leur ancienneté, ni des anges (Gal 1 v 8), ni d’une hiérarchie religieuse, ni de la raison humaine (Ap 22 v 18-19), mais de Dieu. Si sa parole est devenue un texte fixé, c’est pour donner un cadre sûr à nos convictions et intuitions (comme des pierres bornant un terrain ancien subsistent sous la végétation changeante).
Que gagne-t-on à adopter le modèle de Jésus ?
Quand on se fie aux Écrits comme étant Parole de Dieu, on reçoit d’eux la foi qui sauve. C’est l’enjeu vital : si vous croyiez Moïse, vous me croiriez aussi (Jn 5 v 46). Adopter le modèle de Christ, c’est recevoir de lui une solide relation avec Dieu, fruit de celle que lui-même a vécu sur terre. Obéir à Christ c’est recevoir l’Esprit de Dieu : si vous gardez mes commandements, je prierai le Père et il vous donnera le Paraclet (Jn 14 v 15-16). Chanter l’Écriture (Eph 5 v 19) c’est rester rempli de l’Esprit (v 18). Adopter le modèle de Jésus, c’est être sanctifié par sa parole qui est vérité (Jn 17 v 17).
À l’inverse, comment en arrive-t-on à escamoter le modèle de Jésus ?
Il n’y a pas grand mystère, on y arrive soit en niant que les Écritures sont de la bouche de Dieu, soit en disjoignant d’elles le Saint Esprit.
Première séduction : l’Écriture ne serait pas vraie comme l’est le Verbe céleste, elle serait autre chose que la ‘Parole de Dieu’. C’est le libéralisme théologique qui, par critique historique, textuelle, etc, pose la raison humaine en norme à la place du modèle de Christ pour qui « il est écrit » équivaut à « Dieu dit ». Que manque-t-on en faisant cela ? On se rend quasi impossible – selon Jésus – de le croire tel qu’il se présente (Jn 5 v 47), de croire ce qu’il dit de son sang (Mt 26 v 28), et de recevoir le salut éternel (Jn 8 v 21, 24).
Deuxième séduction : tout en restant vraie, l’Écriture ne serait qu’une base que l’Esprit voudrait faire dépasser à ceux qui ont une relation avec lui. Cette subtilité disjoint Esprit et Écriture, et produit une sensibilité, des prophéties, des enseignements, qui acquièrent autant de crédit que la Bible et en remodèlent le message. On manque alors – en partie – l’Esprit de vérité tel que Jésus le décrit : ses paroles ne viendront pas de lui même, il parlera de tout ce qu’il aura entendu (Jn 16 v 13), c’est à dire il n’innovera pas mais dira ce que le Père et Christ ont dit, et qui a constitué l’Écriture.
Les deux séductions convergent.
La première abuse plutôt ceux qui craignent l’ignorance, la seconde plutôt ceux qui dévalorisent l’étude. Mais les deux ont une même origine, la tentation en Gn 3. La première prolonge « Dieu a-t-il réellement dit ? », la seconde prolonge « vous serez comme des dieux ». Piégé dans l’une, on se croit plus avisé que les auteurs bibliques et on conteste ce qui est écrit. Piégé dans l’autre, on se sent autant inspiré qu’eux et on est le jouet d’intuitions allant au-delà de ce qui est écrit. Sans surprise, les deux séductions convergent pour saper la vertu salvatrice de la parole de Dieu (Jcq 1 v 21).
Par ailleurs, évidemment, il y a un troisième moyen de manquer la vertu salvatrice de la parole de Dieu : c’est ne pas faire ce qu’elle dit. Hélas, c’est le moyen qui a le plus de succès.
Conclusion.
Nous fier à la sagesse de Jésus pour ce qui est de notre rapport à la Bible, est divinement bénéfique. Mais ne voir qu’un texte là où il y a la parole de Dieu, est bien plus dommageable que ne voir qu’un humain là où Dieu a envoyé un ange (Hb 13 v 2).
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