Le Seigneur Jésus dit plusieurs fois aux disciples qu’il les envoie ; il le dit entre autres dans la parabole des ouvriers embauchés à différentes heures. Par le verset qui la précède (Mt 19 v 30) et celui qui la conclut (20 v 16), cette parabole avertit que des derniers seront premiers et des premiers seront derniers. Mais elle dit cela en rapport avec tout quitter et suivre Christ (19 v 27) et avec travailler dans sa vigne (20 v 1).

 

Chaque parabole illustre un aspect du règne de Dieu.

L’expression « le royaume des cieux est semblable à … », signifie : « voici comment Dieu, qui règne éternellement, manifeste ce règne dans votre siècle ». Les paraboles du royaume sont des comparaisons qui le présentent (Mc 4 v 30), elles n’en illustrent chacune qu’un aspect.  Elles disent que la visibilité du règne germe et croît d’elle-même ; ou que sa parole est à recevoir dans une bonne terre ; ou que les fils du royaume n’ont pas à arracher l’ivraie ; ou que, petit à nos yeux comme un grain de sénevé, le royaume des cieux montrera sa grandeur ; ou qu’il est comme un trésor trouvé, une perle cherchée pour laquelle on vend tout ; ou comme un filet qui ramasse ce qui sera trié à la fin du monde ; ou comme un roi remettant une dette énorme à un bénéficiaire qui se montrera impitoyable ; ou comme un roi qui fit des noces pour son fils ; etc.

La parabole des ouvriers est tout en mouvement et en contraste. Une partie illustre l’envoi, une autre illustre la grâce généreuse et l’état de cœur des envoyés.

 

première partie

EMBAUCHE ET ENVOI

 

Un maître de maison sort afin d’embaucher.

Jésus illustre comment Dieu manifeste son règne. Car le royaume des cieux est semblable à un maître de maison qui sortit dès le matin (6h) afin d’embaucher des ouvriers pour sa vigne. Il se mit d’accord avec les ouvriers pour un denier par jour et les envoya dans sa vigne (Mt 20 v 1-2).  Cette parabole imprime une image en ses disciples : Dieu manifeste son règne en les envoyant travailler… dans son règne. Il ne les embauche pas pour lui conquérir une maison et l’y établir maître, ni pour lui planter une vigne (l’idée d’un règne divin venant progressivement à l’existence est étrangère à la Bible, G.E. Ladd). Il les embauche pour travailler dans et avec ce qui est de lui.  Note : cette parabole semble mieux répondre au contexte si elle illustre l’embauche de gens déjà disciples ; d’autres paraboles illustrent l’évangélisation qui, dans le NT, ne demande pas aux perdus de travailler pour Dieu.

Ayant d’abord reçu en eux sa parole, les disciples sont embauchés pour la semer, sans focaliser sur ce que le diable sème, pour la porter comme trésor, pour jeter le filet, pour transmettre l’invitation, cela avec de l’huile dans leur lampe, etc.  Dans l’AT, Dieu compare son peuple à une vigne. Travailler dans la vigne du Seigneur, c’est tout ce que vous ferez à l’un des plus petits de ses frères (Mt 25 v 40) et c’est que la bonne nouvelle sera prêchée dans le monde entier (Mt 24 v 14). Travailler dans la vigne, c’est tout ce qui est fait pour servir le Roi – que ce soit petitement ou pas, tout ce qui aide au fruit de son Église et touche des perdus. Ici, de manière imagée, Jésus imprime dans la pensée des disciples qu’ils seront ouvriers avec Dieu.

 

Une embauche et un envoi sans relâche.

La parabole insiste fort sur cette idée. Il sortit vers la troisième heure (9h), en vit d’autres qui étaient sur la place sans rien faire, et leur dit : allez vous aussi à ma vigne et je vous donnerai ce qui est juste. Ils y allèrent. Il sortit de nouveau vers la sixième heure (midi) puis vers la neuvième heure (15h), et il fit de même (Mt 20 v 3 à 5).  Par ses répétitions, et par un contraste avec ce qui est usuel entre propriétaires et journaliers, Jésus met l’accent sur l’originalité d’un maître qui sort et persévère à trouver des gens qu’il pourra envoyer dans sa vigne et payer. Or la manière – juste ! – dont il les paiera à la fin, suggère qu’il sort pour cela et pas uniquement pour que le travail soit fait.

Bien sûr, Jésus illustre avant tout que Dieu n’a pas fini d’embaucher et d’envoyer. Ensuite, Jésus relève qu’il restait des gens sur la place sans rien faire. Pour aujourd’hui donc, il faut entendre que la vocation divine perdure. Mais aussi qu’on la manque facilement à certaines périodes, et qu’alors on n’est pas ouvrier avec Dieu (1 Co 3 v 9).

Note : il n’y a pas forcément une signification spirituelle dans chaque détail d’une parabole, par exemple que le maître sorte toutes les 3 heures et non 2 ou 4, ou bien qu’il ne répète pas à ceux de la 11e heure : je vous donnerai ce qui est juste, etc.

 

Le maître sort jusqu’à la dernière heure.

Jésus met le comble à son propos. Vers la onzième heure (17h) il sortit encore, en trouva d’autres qui se tenaient là, et leur dit : pourquoi vous tenez-vous ici toute la journée sans rien faire ? Ils lui répondirent : c’est que personne ne nous a embauchés. Allez vous aussi dans la vigne, leur dit-il (v 6-7).  En parlant de onzième heure Jésus heurte les usages ; oui, jusqu’à une heure avant le soir, le maître sort personnellement et embauche. Jésus explique aussi l’anomalie d’une journée quasi entière sans travail, par le manque d’embauche (limites d’une parabole, pour aujourd’hui ça signifie non que Dieu ne nous aurait rien dit, mais plutôt que nous n’étions pas prêts).

Les sorties du maître (à la 1e et  3e et 6e et 9e et même 11e heure) doivent être lues comme des rappels de ce que Dieu fait avec nous. Sans se lasser Dieu sort vers les siens, il signale une anomalie, et il les envoie servir son règne. C’est bien Dieu qui, par sa parole et son Esprit, est encore en train d’envoyer chacun travailler. C’est bien Dieu qui ne se satisfait pas d’une Église structurée comme si certains avaient une vocation, mais pas tous. La vocation divine concerne chaque membre à chaque stade de sa vie : dès sa jeunesse, et quand il est vieux. Ayez du zèle, non de la paresse ; soyez fervents par l’Esprit ; servez le Seigneur (Rm 12 v 11).

Dans cette parabole, l’ensemble des sorties du maître est parfois lu comme couvrant la totalité de l’Histoire de l’Église. Les ouvriers embauchés aux différentes heures sont alors vus comme figurant les églises des différentes époques. Et l’ensemble est vu comme soulignant l’heure avancée, et le fait qu’aux yeux du maître ça vaut la peine d’aller dans sa vigne d’autant plus que la fin approche !

 

deuxième partie

GRÂCE « RENVERSANTE »

 

Dieu rétribue comme il veut.

Après l’accent mis sur l’envoi, Jésus en arrive à la pointe de la parabole. Le soir venu, le seigneur de la vigne dit à son intendant : appelle les ouvriers et paie-leur le salaire en allant des derniers aux premiers. Ceux de la onzième heure vinrent et reçurent chacun un denier. Les premiers vinrent ensuite pensant recevoir davantage, mais ils reçurent eux aussi, chacun un denier. En le recevant, ils murmurèrent contre le maitre de la vigne et dirent : ces derniers venus n’ont fait qu’une heure, et tu les traites à l’égal de nous qui avons supporté le poids du jour et la chaleur (Mt 20 v 8 à 12).  Au chapitre précédent, quand Jésus annonce que plusieurs des derniers seront les premiers (Mt 19 v 30), c’est en ce qu’ils hériteront la vie éternelle (v 29). Ici, les envoyés étant des disciples, le ‘salaire’ figure cet héritage (limites de la parabole, elle n’enseigne pas que l’héritage serait un dû !).  En parlant exprès d’ouvriers qui ne travaillent qu’une heure mais reçoivent le salaire plein, Jésus illustre la disproportion entre ce qu’ils auront fait pour Dieu et ce que Dieu leur donnera. Puis en parlant de la réaction des premiers ouvriers, Jésus dit l’importance du cœur face à la générosité du maître !  Parce qu’ils ont obéi à l’envoi dès la première heure, plus tôt, plus entièrement, plus longtemps que d’autres, vont-ils murmurer et tenir pour injuste le seigneur de la vigne ? Leur conception de l’égalité va-t-elle détruire leur reconnaissance d’avoir été intégrés à son œuvre ?

Jésus avertit donc ses auditeurs à veiller pendant leur service ici-bas, et non quand il sera revenu (une parabole a ses limites). Ce n’est pas devant le grand trône blanc (Ap 20 v 11) que certains risqueront d’être jaloux de ceux dont la consécration aura été moindre que la leur.  Par exemple Paul (au travail, à la peine, en danger, dans la faim, le froid, battu, lapidé, 2 Co 11 v 24 à 28), ou Calvin (qui a œuvré quasiment sans repos jusqu’à mourir épuisé), ou tel chrétien persécuté qui aujourd’hui sert dans de grandes souffrances, ne vont pas reprocher à Dieu de me donner le même héritage qu’à eux. C’est bien pour ce temps-ci que Jésus avertit ses disciples : si ton œil est en mauvais état… (Mt 6 v 23).

 

En arrive-t-on à voir de mauvais œil que Dieu soit bon ?

Jésus poursuit son propos et même l’aiguise. Compagnon, répondit-il à l’un d’eux, je ne suis pas injuste (litt.) envers toi, ne t’es-tu pas accordé avec moi pour un denier ? Prends ce qui est à toi et va. Je veux donner à celui qui est le dernier autant qu’à toi ; ne m’est-il pas permis de faire de mes biens ce que je veux ? Ou vois-tu de mauvais œil que je sois bon ? Ainsi les derniers seront les premiers, et les premiers seront les derniers (Mt 20 v 13 à 16).  N’allons pas imaginer que Jésus dramatise gratuitement ; il sait ce qu’il dit. Il dit le contraste entre ce qu’un disciple peut ressentir et ce que Dieu, seul bon, fait de ce qui est à lui !  Est-ce donc possible qu’un disciple dévoué murmure, trouve Dieu injuste, et même voie de mauvais œil que Dieu soit bon ?  D’après Jésus, oui.

Comment en arrive-t-on là ?  D’après la parabole, c’est en comparant notre service pour Dieu à celui de nos frères ; c’est en soulignant combien ça nous a coûté… et combien peu ça leur a coûté ; c’est en pensant que nous méritons plus qu’eux ; c’est en devenant amers au sujet de ce qu’il leur donne.  Là, selon Jésus, notre regard est mauvais envers nos frères mais surtout devient mauvais envers Dieu !  Là, paradoxe devant la grâce, c’est sa justice et sa bonté même qui nous déplaisent.

Nos cœurs en sont capables puisque Jésus nous avertit.  Avertissement nécessaire vu la fin du chapitre : deux des disciples réclament à Jésus d’être, dans son royaume, mieux lotis que les autres (être assis à sa droite et à sa gauche, Mt 20 v 21) qui s’en indignent (v 24).

 

Conclusion.

Entendre l’embauche et l’envoi !  Travailler premièrement au règne de Dieu par le bien de son peuple et le salut de quiconque !  Cela avec reconnaissance envers lui, dont la grâce renverse les conceptions de ce qui est premier ou dernier.

 

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