Ces deux paraboles se ressemblent beaucoup. Pourtant, il faut réaliser en quoi Jésus les a faites différentes. La parabole des invités (lire Lc 14 v 15-24) n’explicite pas le focus qui sera central dans celle des noces (lire Mt 22 v 1-14), le grand focus de la vie chrétienne.
Cet article propose trois parties. La première considère la parabole des invités. La deuxième celle des noces. L’ensemble relève ce qui est commun aux deux. C’est à dire : l’image usuelle d’une invitation à un repas et du désistement des invités. Et : l’idée centrale : Dieu appelle ! Et : l’invitation élargie à quiconque, trait qui dépasse le cadre usuel. Tout cela dit que les appelés ont une importance.
La troisième partie de l’article relève l’enseignement contenu dans ce que la parabole des noces ajoute à l’autre. Cela dit aux appelés qu’il y a plus important qu’eux.
première partie
L’ENSEIGNEMENT DE LA PARABOLE DES INVITÉS (Lc 14)
Contexte : lui-même invité à un repas (Lc 14 v 1), Jésus s’adresse aux autres invités (v 7-8), puis à l’hôte (v 12-14 : invite des pauvres). Sur quoi, un convive dit : heureux celui qui prendra son repas dans le royaume de Dieu ! (v 15). La parabole des invités est la réponse de Jésus à cet homme (v 16), elle prolonge son exclamation en signifiant : quel privilège d’être appelé ! Et : heureux celui qui répond à l’appel ! (note : dans tout le chapitre ‘inviter’ est, littéralement, ‘appeler’)
Il y a des pré-appelés.
Un homme donna un grand repas et invita beaucoup de gens (v 16). Il avait pressenti des personnes et leur avait fait savoir ce qu’il préparait. Même si le contexte de Luc 14 l’indique moins que celui de Mt 22, pour les auditeurs de Jésus les pré-invités figurent les Israélites qui se veulent religieux. L’appel (qui évoque : l’Éternel vous a aimés / tu aimeras l’Éternel ton Dieu) est une infinie grâce de Dieu. Autrement dit, ceux qui ont appris que l’Éternel est seul Dieu – seul créateur – seul sauveur, se trouvent dans une position privilégiée, avec la responsabilité de répondre. Aujourd’hui, les Israélites croyants demeurent des pré-appelés ; comme le sont aussi tous les humains qui ont été correctement catéchisés.
Il y a l’heure de la conversion à Dieu.
À l’heure du repas, il envoya son serviteur dire aux invités : venez, car tout est déjà prêt (v 17). Pour ceux qu’il a instruits, et appelés, Dieu fera forcément sonner l’heure d’une foi-conversion : revenez à moi de tout votre cœur (Joël 2 v 12). Ceux qui se convertiront seront rachetés par la justice (Es 1 v 27). Dans la scène décrite par Jésus, être le serviteur du maître, n’est pas seulement dire qu’il existe un grand repas. C’est transmettre son appel et dire qu’il est l’heure de venir chez lui ! Aujourd’hui, être serviteur de l’Évangile c’est transmettre un appel, sans nous contenter de débattre sur l’existence de Dieu. C’est présenter Christ aux gens, et leur dire clairement qu’il les appelle !
Mais tous, unanimement, se mirent à s’excuser. Les motifs invoqués pour se désister (j’ai acheté un champ, des bœufs, je viens de me marier, v 18 à 20) sont les mêmes qui, dans la parabole du semeur, étouffent la semence (soucis, richesses, plaisirs de la vie, Lc 8 v 14). Selon Jésus, l’excuse de celui qui dit ‘je viens de me marier’ ne tient pas plus que les autres. Parce que toutes éclipsent l’enjeu formidablement supérieur : le repas dans le royaume de Dieu (v 15).
Il y a des appelés imprévus.
Alors le maitre de maison, irrité, dit à son serviteur : va promptement sur les places et dans les rues de la ville, et amène ici les pauvres, les estropiés, les aveugles, les boiteux (v 21). Puis, dans un second temps : va sur les chemins … et contrains les gens d’entrer, afin que ma maison soit remplie (v 23). Tous ceux-là n’étaient pas pré-invités. Ils peuvent figurer des Israélites non religieux, perdus dans des péchés grossiers. Pour eux c’est directement l’heure de la foi-conversion. Aujourd’hui, cet appel aux Israélites athées demeure ; et il s’élargit à tout humain non croyant. L’appel adressé à des indignes dépasse le cadre d’une invitation usuelle. Ça souligne l’inimaginable miséricorde de Dieu. Et aussi qu’il accorde une importance aux appelés.
Une parabole n’étant pas une allégorie, deux remarques s’imposent concernant le v 23. Un, les mots ‘contrains-les d’entrer’ ont du sens dans la scène décrite mais n’enseignent pas de forcer autrui à se convertir (scandaleusement, ils ont servi à justifier l’inquisition). Deux, les mots ‘afin que ma maison soit remplie’ n’enseignent pas que l’amour du Dieu qui appelle serait un amour-besoin.
« Considère la bonté et la sévérité de Dieu »
(Rm 11 v 22) C’est bien ce que produit la parabole des invités ! Elle magnifie la bonté de Dieu, bonté confondante en ce qu’il a des invités pressentis, bonté stupéfiante en ce qu’il invite des non pressentis. Elle montre aussi – un peu – la sévérité de Dieu. Un peu, puisque cette parabole met plutôt l’accent sur l’impensable gratuité du salut, avec une seule condition : répondre à Dieu. Le jugement n’est évoqué que par le mot ‘irrité’ (Lc 14 v 21), et la perdition n’est évoquée que par la phrase ‘je vous le dis, aucun de ces hommes qui avaient été invités ne goûtera de mon repas (v 24).
Revenons au contexte, Lc 14 v 7-8 : lorsque tu es invité à des noces, ne va pas occuper la première place, de peur qu’une personne plus honorable que toi ait été invitée. En effet, même s’il est honoré par l’invitation, tout appelé doit se dire : il y a ici plus important que moi !
deuxième partie
L’ENSEIGNEMENT DE LA PARABOLE DES NOCES (Mt 22)
Contexte : les péagers et les prostituées en Israël vous devanceront dans le royaume de Dieu (Mt 21 v 31). Contexte encore : la parabole des vignerons (Mt 21 v 33-45) auxquels un maître envoie ses serviteurs, puis son propre fils, pour recevoir les fruits. Quand ils virent le fils ils se dirent : tuons-le (v 38). Or Jésus assimile ce ‘fils’ à ‘la pierre rejetée par les bâtisseurs’ (v 42 citant Ps 118), pierre en qui des rabbis anciens voyaient le Messie. L’avertissement est clair : les principaux sacrificateurs et pharisiens comprirent que c’était d’eux que Jésus parlait (v 45).
Jésus conclut : le royaume de Dieu vous sera enlevé et sera donné à une nation qui en produira les fruits (Mt 21 v 43). Précision, dans le contexte ce n’est pas : le royaume sera enlevé à Israël au profit des païens, mais enlevé à l’Israël hypocrite (Mt 23 v 13) au profit de l’Israël fidèle (disciple du Christ) qui sera augmenté de païens devenus aussi ses disciples.
La parabole des noces suit. Elle a le même message central que celle des invités. Mais elle met l’accent sur la sévérité de Dieu autant que sur sa bonté, et elle éclaire cette sévérité.
La parabole des noces dit qui invite et pourquoi il invite.
Le royaume des cieux est semblable à un roi qui fit des noces pour son fils (Mt 22 v 1 à 14). ‘Roi’ et ‘Fils’ sont les mots clé. Logiquement les invités y voient la raison d’être de leur invitation. Jésus commence par raconter les mêmes désistements des pré-invités qu’en Lc 14 (le roi envoya ses serviteurs pour appeler ceux qui étaient invités aux noces ; ils ne voulurent pas venir, Mt 22 v 3). Il rapporte les mêmes motifs de négliger l’appel (champs, commerce, v 5). Il raconte l’insistance du roi qui, après les premiers refus, envoie d’autres serviteurs : j’ai préparé mon festin, venez aux noces (v 4). Mais aussi, il rapporte chez certains invités des réactions qui s’aggravent : d’autres se saisirent des serviteurs, les outragèrent, et les tuèrent (v 6). La colère du roi, qui fit périr ces meurtriers et brûla leur ville (v 7), illustre ce que le NT dit d’un jugement par le feu (Lc 17 v 29 évoquant Es 1 v 10).
Cet accent tragique, absent en Lc 14, signale que transmettre aux gens l’appel de Dieu c’est leur permettre d’éviter la perdition (Jn 3 v 16 : que quiconque croit ne périsse pas).
Le roi a fait des noces non pour les invités mais pour son fils.
C’est ça qui explique combien sont impardonnables leur refus de venir, puis leurs outrages et meurtres commis contre les serviteurs. On doit l’entendre, il y a dans le pays évoqué par cette parabole une rébellion contre le roi, et il y a du mépris pour son fils (cp. Lc 19 v 14 : nous ne voulons pas que celui-là règne sur nous). C’est le trait qui se démarque le plus d’une scène usuelle d’invitation.
Ce trait souligne fortement le message central de la parabole : Dieu invite des gens pour son Fils. En les invitant à être autour de son Fils, Dieu leur manifeste sa grâce la plus grande, plus élevée que s’il les invitait seulement pour eux-mêmes ! Cette grâce, après le scandaleux mépris des pré-invités, sera proposée à quiconque (comme en Lc 14). Mais ici, en racontant : allez aux carrefours, et invitez tous ceux que vous trouverez, Jésus ajoute une précision : méchants et bons (v 10). Ce point va magnifier la bonté de Dieu, et justifier sa sévérité.
Une condition est posée à ceux qui répondent à l’appel.
Les invités, amenés sans délai, devaient semble-t-il à leur arrivée ôter leurs habits et revêtir l’habit de noces fourni par le roi. Le roi aperçut là un homme qui n’avait pas revêtu un habit de noces, il lui dit : compagnon, comment es-tu entré ici sans avoir un habit de noces ? (v 11-12). En pointant cette anomalie le roi rappelait une condition, posée parce qu’il voulait honorer son fils ! Ce que l’homme non revêtu ne voulait pas faire, tout en profitant du festin. Il voulait s’afficher tel qu’il était.
L’habit de noces illustre ceci : par le roi, des méchants appelés vers le fils sont souverainement rendus dignes du fils. Se dévêtir illustre une repentance : apprendre Christ c’est se dépouiller du vieil homme (Eph 4 v 20-22). Revêtir l’habit fourni illustre une régénération : être renouvelé par l’Esprit et revêtir l’homme nouveau créé par Dieu (v 23-24). Comme l’enseigne Jésus : si quelqu’un veut venir après moi, qu’il renonce à lui-même (Mt 16 v 24).
La sévérité de la sanction résulte de la nature unique de l’invitation.
Le roi dit aux serviteurs : liez-lui les pieds et les mains, et jetez-le dans les ténèbres du dehors, où il y aura des pleurs et des grincements de dents (Mt 22 v 13). En ces mêmes termes Jésus avait parlé de la fournaise de feu (Mt 13 v 42). S’il raconte ce rejet, c’est pour ne pas cacher que l’enjeu de son appel est vie ou mort.
Ce rejet, on le comprend quand on réalise qu’il sanctionne ceux qui refusent de se repentir du mépris qu’ils avaient envers le fils du roi. Or ce rejet signale aussi autre chose. C’est que la valeur des invités, des premiers comme des derniers, existe uniquement dans le cadre de la valeur du fils de ce roi ! Selon toute la Bible, c’est bien la valeur du Fils unique de Dieu qui explique et le salut et la perdition. Ainsi, la colère du roi dans la parabole, envers les meurtriers et envers l’homme non revêtu, est un écho à : embrassez le fils, de peur qu’il ne s’irrite et que vous ne périssiez (Ps 2 v 13).
Jésus conclut : il y a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus (Mt 22 v 14). De l’histoire humaine face au salut, il avait déjà affirmé cela (Mt 7 v 13-14), indiquant par le mot ‘peu’ la proportion (Es 10 v 22, 1 Co 10 v 5) plutôt que le nombre (Ap 7 v 9).
troisième partie
UN ENSEIGNEMENT COURONNE L’AUTRE
L’importance, réelle, des appelés n’existe que par l’importance, unique, du fils.
Les invités de Lc 14 pouvaient penser qu’ils étaient la raison d’être du grand repas ; les invités de Mt 22 auraient eu grand tord de penser qu’ils étaient la raison d’être des noces du fils. Les premiers pouvaient se voir plus ou moins comme le but du maître invitant ; les seconds ne pouvaient ignorer que le but principal du roi c’était son fils.
Au début donc, nous chrétiens pouvons penser que si Dieu nous a appelés par l’Évangile c’est parce que nous avons une importance à ses yeux. Il n’y a là aucun problème, car c’est exact. Mais ce n’est pas le centre de tout. Ensuite, instruits par l’Esprit de Dieu dans les Écritures, nous aimerons voir que le Fils unique est le centre ! En effet, la vie éternelle accordée par Dieu nous valorise, mais nous est donnée indirectement : cette vie est en son Fils (1 Jn 5 v 11). C’est dans la valeur du Fils que la nôtre trouve place.
Mais il y a un vrai problème si notre cœur n’entend pas Jésus dire à son Père : ils étaient à toi, et tu me les as donnés (Jn 17 v 6). Ou si, en lisant : un roi fit des noces pour son fils, notre cœur n’entend pas : l’Évangile concerne son Fils (Rm 1 v 3). Ou si, en lisant : venez aux noces, notre cœur n’entend pas : il vous a appelés à la communion de son Fils (1 Co 1 v 9). Ou si, en lisant : j’ai préparé mon festin, notre cœur n’entend pas : tout a été créé par lui et pour lui (le Fils) (Col 1 v 16). Et comment l’entendrons-nous tant que notre vanité chantera « tu as tout créé pour moi » ?
Appartenir au Fils est le sens ultime de notre création et de notre salut.
Comprendre cela nous affranchit de l’égocentrisme spirituel. Ce dernier tord le dessein de Dieu, en nous poussant à croire, prier, agir comme si nous étions le centre de tout. Et à voir Jésus moins comme le but de Dieu que comme l’agent de notre destinée. La Bible parle autrement, elle révèle une ligne directrice : Dieu se crée un peuple, pour le donner à son Fils.
L’Éternel t’a choisi pour que tu sois un peuple qui lui appartienne en propre (Dt 7 v 6). Dieu étend cela à tous ceux que Christ appelle : il s’est donné lui-même pour nous, afin de nous racheter de toute iniquité, et de se faire un peuple qui lui appartienne (Tit 2 v 14). Dessein céleste : Christ a aimé l’Église et s’est livré lui-même pour elle, afin de la sanctifier … pour se la présenter à lui-même (Eph 5 v 27 litt.). Dieu éclaire la raison d’être de ce peuple en le comparant à une Épouse. L’image ne signifie évidemment pas une fusion de nous tous en une seule personne qui serait à Christ, non. L’image annonce un collectif saint existant pour Christ, et sublimement aimé par lui. (bien sûr, l’Épouse figure ce collectif, et non chaque racheté individuellement)
Et l’image enseigne une chose très sainte : autant par la vertu de son sacrifice que par la perfection de son amour, Christ a des droits sur nous. Ce n’est pas nous qui lui faisons une faveur en venant à lui.
En résumé.
Touchante parabole des invités (Lc 14). Elle dit le privilège d’être appelé par Dieu, la nécessité de lui répondre, l’importance qu’il nous accorde. Royale parabole des noces (Mt 22). Elle dit la même chose concernant l’appel, la réponse, les appelés. Mais, montrant la sur-importance du Fils de Dieu, elle dit aux appelés qu’ils ne sont pas le but ultime de Dieu.
Par cette différence entre les deux paraboles, le Seigneur illustre ceci : Dieu veut que Christ soit en tout le premier (Col 1 v 18). Celui qui écoute seulement celle des invités (Lc 14) n’aura pas la même piété que celui qui écoute aussi celle des noces (Mt 22). L’une dit de venir chez Dieu, l’autre dit comment y vivre. L’une rend conscient de compter pour Dieu, elle rend reconnaissant ! L’autre rend conscient de ne pas être le centre, elle rend adorateur !
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