Pour l’être humain, vivre c’est avoir de quoi subvenir à ses besoins, mais c’est aussi s’épanouir, réussir, se réaliser. Est-ce que croire en Jésus crucifié sert à atteindre ces buts là ? Non. Notre appel c’est voir la plénitude de Dieu dans la vie éternelle. Or, à qui Jésus dit-il : tout ce que j’ai appris de mon Père, je vous l’ai fait connaitre (Jn 15 v 15) ? À ses disciples, auxquels il dit d’abord de perdre leur vie.

Il le répète plusieurs fois, et au sujet de plusieurs choses qui apparaissent dans les versets ci-dessous (où le mot âme a le sens de vie naturelle).

 

Perdre leur repère familial, et même leur idéal spirituel.

Celui qui aura trouvé sa vie (âme) la perdra, et celui qui aura perdu sa vie à cause de moi la trouvera (Mt 10 v 39 litt.).  Jésus ne parle pas de n’importe quelle perte, il dit bien : à cause de moi !  Ici, Jésus parle aux disciples de leur famille vue comme socle où ils trouvent leur identité : celui qui aime père ou mère plus que moi n’est pas digne de moi (v 37). Et de leur famille vue comme aboutissement de soi : celui qui aime fils ou fille plus que moi n’est pas digne de moi (id). Jésus appelle cette perte porter leur croix et le suivre (v 38), au lieu de sauvegarder une fausse paix (v 34-35). (idem Lc 14 v 25 à 27)

Quiconque en effet voudra sauver sa vie la perdra, mais quiconque perdra sa vie la trouvera (Mt 16 v 25).  Ici, Jésus anéantit l’idéal que Pierre avait : le Christ, le Fils du Dieu vivant (v 16) doit réussir à la vue du monde entier et non pas souffrir ni être mis à mort (v 21-22). Mais Jésus rejette cela comme pensées d’hommes venues de Satan (v 23). À ceux qui le suivent il parle d’abandonner leurs meilleures convictions, de renoncer à eux-mêmes et se charger de leur croix (v 24). Dans cette perspective : le salut de leur âme (v 26) c’est qu’il va venir dans la gloire de son Père avec ses anges (v 27). (idem Mc 8 v 31 à 38)

Aujourd’hui aussi, Christ nous demande de ne plus exister par les valeurs dont notre famille est fière, ne plus espérer dans les idéaux qui ‘améliorent’ l’Évangile.

 

Renoncer à eux-mêmes, donc à leurs affaires.

Quiconque en effet voudra sauver sa vie la perdra, mais quiconque perdra sa vie la sauvera (Lc 9 v 24).  Ici, Jésus enseigne en rapport avec sa croix à lui : il faut que le Fils de l’homme soit mis à mort (v 22). Puis il annonce l’effet impératif de cette croix sur un disciple : si quelqu’un veut venir après moi qu’il renonce à lui-même, qu’il se charge chaque jour de sa croix et qu’il me suive (v 23).

Celui qui cherchera à préserver sa vie la perdra, et celui qui la perdra la vivifiera (Lc 17 v 33 litt.).  Ici, Jésus prépare les siens à son retour (v 30), et leur parle de perdre leurs affaires (v 31). Il précise : souvenez-vous de la femme de Lot (v 32), morte d’avoir mis son cœur dans ses possessions. Mais Lot, piégé à Sodome d’abord par le désir de prospérité matérielle (Gn 13 v 10 à 13), en a été arraché.

Aujourd’hui aussi, nous apprenons – difficilement – combien suivre Christ est aux antipodes de vivre pour nous-mêmes, et bien sûr de valoriser notre carrière, nos biens, notre confort.

 

Mourir, c’est à dire prendre leur croix.

Celui qui aime sa vie la perd, et celui qui a de la haine pour sa vie dans ce monde la conservera pour la vie éternelle (Jn 12 v 25).  Ici, Jésus réfère à nouveau les disciples à sa croix à lui : amen, amen, je vous le dis, si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt il demeure seul, mais s’il meurt il porte beaucoup de fruit (v 24). Ce faisant, Jésus parle aussi de leur mort avec lui. Il insiste en termes radicaux : autant haïr est loin d’aimer (v 25), autant ils devront s’éloigner du modèle où l’homme vit pour soi et non pour Christ. (bien sûr Jésus ne prône pas une haine pathologique de soi ou de l’existence, ni un refus d’être soi-même)

De même pour nous, les différents versets où Jésus parle de perdre notre vie, éclairent ce que signifie prendre notre croix : renoncer à notre identité naturelle, à nos idéaux, à nous-mêmes, à nos biens, mourir. Jésus qualifie cela de croix parce que, pour nous, accepter de tout perdre est un effet de sa croix à lui : la croix de notre Seigneur Jésus Christ, par qui le monde est crucifié pour moi, comme je le suis pour le monde (Gal 6 v 14). Paul écrit cela parce que Jésus a dit de perdre notre vie ; il s’agit de perdre la souveraineté sur nous-mêmes et perdre notre appartenance au monde. Or c’est à des degrés divers que nous tenons à notre personne, notre volonté, notre image. Plus nous y tenons, plus les perdre peut être ressenti comme insoutenable, comme une forme de mort… que pourtant nous acceptons par Dieu : nous portons toujours avec nous dans notre corps la mort de Jésus (1 Co 4 v 10).

 

L’exigence des paroles de Jésus s’explique par l’enjeu.

L’enjeu, c’est plus que mourir au péché (Rm 6 v 11) ; pour un racheté de Christ, renoncer au péché quoi qu’il en coûte, est le minimum (Col 3 v 5). Cependant, les choses au sujet desquelles Jésus parle de perdre notre vie, ne sont pas directement des péchés. Famille, ministère, subsistance, sont des grâces de Dieu ; mais les prendre pour socle et pour but, nous empêchera d’être vrais disciples : quiconque ne porte pas sa croix et ne me suit pas, ne peut être mon disciple (Lc 14 v 27). Voilà l’enjeu : ne pas être retenus de bien le suivre.

Si Jésus en parle avec autant de poids, c’est pour nous décentrer de nous-mêmes et être avec lui. Pour ma part, être encore enclin à vivre pour moi, m’est un chagrin presque constant. Que Dieu m’apprenne combien la ‘perte’ dont parle Jésus a pour motif la vie éternelle (Jn 12 v 25) avec lui ! Il est le Dieu bienheureux, en lui est la plénitude, devant sa face l’abondance de joie.

 

Voir aussi :  LA FIN DE TOUTES CHOSES EST PROCHE